La somptueuse exposition « Napoléon stratège », présentée au musée de l’Armée en partenariat avec Le Figaro Histoire, s’interroge sur le stratège hors pair que fut l’Empereur.
di François-Joseph Ambroselli da Le Figaro Histoire del 12/04/2018
Napoléon fut stratège jusque dans sa chute. Reclus à Sainte-Hélène à la fin de sa vie, il est le seul vaincu qui soit parvenu à imposer sa vision de l’histoire. En s’y réservant une place grandiose, méritée à force de victoires. La fascinante exposition du musée de l’Armée, qui s’ouvre le 6 avril, en partenariat avec Le Figaro Histoire, explore les ressorts du génie politique et militaire de celui qui régna pendant dix ans sur l’Europe: «L’objectif de notre exposition est de révéler les ficelles du métier, la manière dont Napoléon créait les conditions de la victoire, aussi bien sur le champ de bataille que dans l’arène politique», souligne Emilie Robbe, conservateur en chef du patrimoine et commissaire de l’exposition.
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Sa première arme était l’audace. Le jeune Bonaparte était un rêveur, qui voyait en Jules César ou Hannibal, dont les bustes sont présentés dans la galerie qui ouvre le parcours, des aînés qui avaient tracé un chemin de gloire. Il allait l’emprunter avec fougue et une certaine révérence pour ceux qui l’avaient précédé, prenant l’Aigle de la Légion romaine comme symbole de sa «Grande Armée». Mais avant de devenir un stratège d’exception, il avait dû se former: «Il n’est pas sorti tout armé de la cuisse de Jupiter», remarque justement Emilie Robbe. Futur artilleur, il a fait ses armes à l’Ecole royale militaire de Brienne-le-Château puis à Paris, a entamé sa carrière d’officier sous Louis XVI et l’a poursuivie sous la Révolution. Il se fait remarquer à Toulon en 1793, lorsque, jeune capitaine, il se permet déjà d’émettre des réserves sur la tenue du siège.
C’est lors de sa première campagne d’Italie que son génie tactique se révèle. Il concentre ses forces et stupéfie l’ennemi par sa rapidité d’exécution. Il n’hésite pas, parfois, à s’exposer en première ligne. Lors de la bataille pour le pont d’Arcole en novembre 1796, il guide ses hommes, drapeau en main, sous la mitraille. Face au feu nourri des Autrichiens, il atterrira finalement dans la boue du marais. Mais l’acte de bravoure n’en marque pas moins les esprits, attachant puissamment les hommes à sa personne. Le tableau de Gros, présenté à l’exposition, en fera un épisode, légèrement arrangé, de légende. En Egypte, il soigne de même sa réputation de conquérant, sur les traces d’Alexandre, en même temps que d’enfant des Lumières, soucieux des bénéfices scientifiques de son expédition. A son retour, il participe au coup d’Etat du 18-19 brumaire et devient l’un des trois consuls désignés: il applique à la scène politique sa stratégie guerrière, qui consiste à ne jamais subir et, au moment crucial, à provoquer l’affrontement (moins à l’aise que sur les champs de bataille, il a pourtant perdu, un moment, contenance devant les protestations des députés et le coup aurait échoué sans l’intervention de son frère Lucien et celle des grenadiers de son fidèle Murat). C’est ce même élan d’âme qui le pousse à emmener ses troupes au-delà des Alpes et à battre une nouvelle fois les Autrichiens à Marengo le 14 juin 1800. Le splendide uniforme de général de division qu’il portait ce jour-là est d’ailleurs présenté à l’exposition comme le pendant victorieux d’une autre réalité du combat: la défaite. Car même s’il avait pu paraître invincible après ses victoires à Ulm, Austerlitz, Iéna, Friedland et Wagram, ses adversaires avaient appris de leurs humiliations. Au lendemain de la bataille de Leipzig (16 au 19 octobre 1813) et de la défaite de la Grande Armée, ses ennemis coalisés marchent sur Paris, déterminés à mettre fin aux agissements de celui qui leur apparaît désormais comme un «ennemi du genre humain».
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Si Napoléon sut gagner avec panache, il ne sut pas perdre. Pour ceux qui soumettent habituellement le destin à leur volonté, l’échec est bien plus déroutant: «Il s’est “fossilisé” lui-même, dans le sens où sa tactique manquait de souplesse et n’était plus gagnante en son absence», explique Emilie Robbe. Pendant les Cent-Jours qui marquèrent son retour au pouvoir après son exil sur l’île d’Elbe, Napoléon ne disposait plus des vétérans des guerres révolutionnaires qui avaient mis à genoux, par leur hargne et leur expérience, ses anciens adversaires. Le pays était éreinté par vingt ans de guerre ininterrompue. Napoléon lui-même semblait las. Pris entre les campagnes et les intrigues politiques, il n’avait guère pu goûter aux joies de son mariage avec l’impératrice Marie-Louise en 1810 et n’avait que rarement vu son fils. La sinistre cuirasse du jeune carabinier Fauveau, transpercée de part en part par un boulet de canon à Waterloo en 1815, illustre superbement la déroute d’une armée trop novice pour percer les lignes de la coalition.
«Napoléon stratège» s’inscrit dans la suite logique de «Napoléon et l’Europe» (2013), qui célébrait sa vision politique, et de «Napoléon à Sainte-Hélène. La conquête de la mémoire» (2016), consacrée à son exil final et à la manière dont il lui avait permis de façonner sa propre légende. Le parcours s’enrichit ici, tout au long de la visite, de dispositifs multimédias. Huit d’entre eux sont conçus comme des «Serious Games», qui invitent le spectateur à prendre la place de Napoléon ou de ses adversaires dans la victoire comme dans la défaite. Nul besoin d’être spécialiste des guerres napoléoniennes pour y participer: en pénétrant dans le cerveau de l’Empereur, les chefs d’entreprise, étudiants ou jeunes entrepreneurs pourront y trouver la recette de leurs futurs succès ou l’explication de leurs échecs les plus cuisants.
«Napoléon stratège», du 6 avril au 22 juillet 2018. Musée de l’Armée, 75007 Paris. Du lundi au vendredi, de 10 h à 18 h. Samedi et dimanche, de 10 h à 19 h. Nocturne le mardi jusqu’à 21 h. Tarifs: 12 €/10 €. Rens.: www.musee-armee.fr ; 0 810 11 33 99. Catalogue de l’exposition, Editions Liénart, 304 pages, 29 €.