La réponse est plus compliquée qu’elle n’en a l’air et nécessite de se plonger dans l’histoire et l’évolution de cette organisation a laquelle a adhéré le héros de «Derrick».
di Antoine Bourguilleau da Slate.fr del 1° maggio 2013
Selon le Frankfurter Allgemeine Zeitung, un chercheur allemand serait tombé accidentellement sur une petite bombe: Horst Tappert, qui incarna des années durant le célèbre inspecteur Derrick, aurait été un membre de la Waffen-SS. Un document semble attester que le jeune Tappert, né en 1923 et alors âgé de 19 ans, aurait intégré une section de la DCA (Flak Abteilung) avant d’être rattaché, manifestement toujours au sein de la DCA, à un régiment de Panzergrenadiers de la 3e division de Panzer-SS Totenkopf. L’article précise que l’on ne sait pas dans quelles circonstances la jeune recrue Tappert a intégré cette unité. Cette information signifie-t-elle que le jeune homme était à l’époque un nazi fanatique? Tous les membres de la Waffen-SS étaient-ils forcément des nazis?
La réponse est plus compliquée qu’elle n’en a l’air. La Waffen-SS était la branche armée d’une organisation, la SS (ou Schutz-Staffel —«Echelon de protection») qui, à la naissance du NSDAP (le parti nazi), constituait la garde rapprochée d’Hitler. A l’origine, ses membres sont moins de 200 et triés sur le volet: répondant naturellement aux critères raciaux délirants du Führer, ils sont également des Nazis convaincus. Au début des années 1930, la SS est forte de 30.000 hommes et joue un rôle de premier plan dans l’élimination des chefs de la SA lors de la célèbre Nuit des Longs Couteaux. Le recrutement s’effectue toujours sur des bases raciales et idéologiques. Ce n’est qu’en mars 1940 que naît officiellement la Waffen-SS, même si des unités de SS ont déjà combattu en Pologne. À l’été 1940, elle compte près de 100.000 hommes. À cette époque, ses membres sont encore tous des volontaires.
Ils reçoivent une instruction soutenue sur les doctrines du Führer et sont tous des nationaux-socialistes convaincus. Les conditions d’admission sont très strictes: les hommes du rang doivent, comme les officiers, faire preuve d’une aryanité qui doit remonter, pour ces derniers, jusqu’à 1750. Au fur et à mesure que le conflit s’étend, la Waffen-SS grossit: elle compte 300.000 hommes fin 1943 et près de 900.000 fin 1944, six mois avant la fin de la guerre. Des volontaires affluent de toute l’Europe occupée et forment des unités à part, dont la tristement célèbre division Charlemagne française ou la division Wallonie belge. Des divisions de Waffen-SS sont également formées dans les pays baltes, sans critères raciaux, on s’en doute, mais la plupart des recrues y sont des antisémites et/ou des anticommunistes farouches.
Dans les divisions de Waffen-SS allemandes, le recrutement continue sur la base du volontariat, ce qui est facilité par la prégnance du national-socialisme depuis des années en Allemagne et par l’endoctrinement de la jeunesse. Les Alsaciens, en tant que Volksdeutsche, forment eux un cas à part. À partir de 1943, la Waffen-SS enrôle des Alsaciens et des Mosellans de la même manière qu’ils seraient intégrés dans la Wehrmacht, sans critères particuliers sur le plan politique et avec des critères physiques et d’aryanité moins stricts.
Voilà comment, en 1953, quatorze Alsaciens se retrouvent devant le tribunal militaire de Bordeaux pour le massacre d’Oradour-sur-Glane. Un seul est condamné à mort, celui avait reconnu s’être engagé volontairement. Mais les documents disponibles ne permettaient pas de déterminer qui s’était engagé volontairement et qui l’avait été de force. Les peines seront finalement commuées grâce à un décret d’amnistie. Ce qui nous ramène au cas Tappert. Dans quelles circonstances le futur inspecteur Derrick est-il entré dans la division SS Totenkopf? Nous ne le savons pas. Il a pu s’engager avec entrain dans la Waffen-SS ou bien en raison de pressions: en 1943, la Waffen-SS a du mal à combler ses pertes et ne peut plus compter sur le seul volontariat. Certaines pressions exercées s’apparentent à de l’enrôlement de force, et même si elles ne sont pas physiques, il est bien dur d’y résister.
Le climat général d’endoctrinement joue aussi un rôle dans les enrôlements. Manfred Rommel, le fils du maréchal, a rapporté qu’à l’âge de 16 ans, en 1943, il avait envisagé de s’engager dans la Waffen-SS. Son père le lui avait déconseillé, lui proposant de rejoindre la Heimat Flak, la DCA chargée de défendre le Reich.
Même s’il était un général très en vue, Rommel était loin d’être un nazi ardent et ne professait pas ce genre d’idées au sein du cercle familial. Le fait que son fils ait malgré tout envisagé de servir dans la SS n’est qu’un des signes de la prégnance des idées nazies au sein de la jeunesse allemande.
Par ailleurs, si la Waffen-SS était le bras armé du parti hitlérien et s’est rendue systématiquement coupable de crimes de guerres avec l’aval des autorités supérieures (le massacre d’Oradour n’était pas un déchaînement de soudards mais une opération d’extermination soigneusement préparée et exécutée), il y avait également des nazis au sein de la Wehrmacht et cette dernière a également commis de très nombreux crimes de guerre, même si, au tribunal de Nuremberg, elle n’a pas été jugée comme «organisation criminelle». La fable consistant à opposer les «méchants SS» aux Allemands korrekts de la Wehrmacht est née à la fin des années 1940, quand la Guerre froide débutait et que la Bundeswehr naissante avait besoin de cadres.
Alors, Horst Tappert a-t-il été un nazi? C’est possible. Mais il aurait pu l’être au sein de la Wehrmacht comme il aurait pu ne pas l’être au sein de la Waffen-SS. S’est-il engagé volontairement dans cette arme pas comme les autres? Nous risquons bien de ne jamais le savoir. Pour démêler un tel écheveau, c’est moins l’inspecteur que le suspect Derrick qui nous manque…